Une société civile immobilière (SCI) met gratuitement à disposition d’un ou plusieurs associés un ou des logements dont elle a la propriété. Généralement c’est le point de fiscalité qui retient l’attention. Les points de droit demeurent en suspens. Le sujet a pourtant de nombreuses facettes juridiques.
Point de droit des contrats
La prêt à usage est « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de prendre après s’en être servi » (article 1875 du Code civil) ; « ce prêt est essentiellement gratuit » (article 1896 du Code civil). S’il est prévu un prix, il s’agira non d’un prêt à usage mais d’un bail. S’il s’agit bien d’un prêt à usage, se pose le problème du moment de la restitution du logement. Soit cela est prévu par le contrat (durée déterminée), soit rien n’est prévu (contrat muer sur ce point ou pas d’acte rédigé) et alors la durée est indéterminée. Dans cette dernière hypothèses, le Cour de cassation a considéré par interprétation de l’article 1888 du Code civil que « le prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable ». Mais quoi qu’il en soit, le prêteur peut aussi demander la restitution s’il survient « un besoin pressant et imprévu » (article 1889 du Code civil ; Cour d’appel de Lyon, 14 avril 2014, n° de RG 10/03205, la SCI justifie d’un besoin pressant de reprendre la logement suite à sa condamnation à racheter les parts de l’associé occupant gratuitement le bien qui se retire).
Point de droit des sociétés
Dans l’ordre interne (à l’égard des associés) le gérant de la société civile a le pouvoir d’accomplir tous les actes de gestion qui demande l’intérêt de la société et qui entrent dans l’objet social, sous réserve de clauses limitatives de pouvoirs introduites dans les statuts (article 1848 du Code civil). Dans l’ordre externe (à l’égard des tiers), le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ; les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers (article 1849 du Code civil). Supposons un objet social ainsi rédigé : « la société a pour objet : la propriété et la gestion par bail ou autrement de l’immeuble… » (sans autres limites dans les statuts). Il a été jugé que « cette formulation, par sa généralité, autorisait le gérant à consentir toute autre forme d’occupation des biens concernés, y compris à titre gratuit, au profit notamment de tout ou partie de ses membres » (Cour de cassation, 3° Chambre civile, 11 février 2014, n° de pourvoi 13-11197, non publié au Bulletin).
Est-ce à dire pour que tout est permis ? La réaction face à cette décision peut emprunter différentes voies de droit :
- 1/ l’abus de majorité ou d’égalité. Une SCI est constituée dans un cadre familial comme support juridique des propriétés immobilières à raison de 10 parts pour la père, 90 pour la fille et 100 pour son époux. La femme demande le divorce et entend se maintenir gratuitement dans le lieux. Son mari convoque une assemblée générale pour voter la suppression de l’attribution gratuite de l’immeuble (inscrite dans l’objet social) et sa mise en location. Face à un refus du père et de sa fille, l’époux allègue un abus d’égalité. La Cour de cassation considère que « le refus de deux des associés de voter en faveur du versement d’un loyer en contrepartie de l’occupation, par un seul des associés, constitue (…) une atteinte (…) à l’intérêt général de la société et le vote de la gestion rémunérée de l’immeuble doit être qualifiée d’opération essentielle à la survie financière » de celle-ci (Cour de cassation, 3° Chambre civil, 16 décembre 2009, n° de pourvoi 09-10209, publié au Bulletin civil III, n°287) ;
- 2/ l’associé minoritaire qui s’estime lésé par la politique sociale suivie tenant en une mise à disposition gratuite d’un associé de l’immeuble propriété de la SCI peut demander en justice son retrait de la société (Cour de cassation, 3° Chambre civil, 11 février 2014, prec., qui reconnaît en l’espèce « de justes motifs ») ;
- 3/ la responsabilité du gérant suppose une faute de celui-ci (ex. violation des statuts limitant ses pouvoirs, faut de gestion). Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement qui s’entend strictement (Cour de cassation, 3° Chambre civil, le 8 juin 2010, n° de pourvoi 09-66802, publié au Bulletin civil III, n° 113), « un ou plusieurs associés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société ». (article 1843-5, alinéa 1er, du Code civil). Le dirigeant peut également être responsable pénalement. Dans les sociétés à risque illimité, et tel est le cas spécifiques. Il conviendra donc de suivre le droit commun, au premier chef l’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal).
Point de droit des procédures collectives
L’article L 621-2 du Code de commerce dispose que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». La confusion de patrimoines concerne deux personnes réelles. Ces personnes se sont toutefois comportées comme si elles n’avaient qu’un seul patrimoine : « l’entreprise exploitée par MM. Y. en société de fait jouissait des locaux de la SCI et la villa, propriété de la SCI, était occupées à usage d’habitation par M. Amédée Y. sans qu’aucun loyer n’ait été versé à la SCI qui n’avait pas de comptabilité propre ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations établissant l’imbrication des éléments d’actif et de passif caractérisant la confusion des patrimoines, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision » d’extension de la procédure (Cour de cassation Chambre commerciale, 12 juin 2001, n° de pourvoi 98-18835, non publié au Bulletin).