On connaît l’enjeu, pour le locataire d’un local à usage commercial ou artisanal, de son maintien dans le lieu d’exploitation.

En effet, celui-ci est un élément important pour la clientèle dont dépend évidemment la réussite de l’entreprise mais aussi, par exemple, l’existence juridique de ce bien précieux qu’est le fonds de commerce. Conscient de cela, le législateur a institué depuis longtemps, dans le cadre des baux commerciaux de droit commun, un droit au bail permettant au locataire que le désire de demander au bailleur le renouvellement du bail qui arrive à expiration et, en cas de refus de ce dernier, d’obtenir, sauf exception, un indemnité d’éviction. Mais le locataire peut aussi préférer devenir propriétaire des lieux qu’il occupe si le bailleur décide de les vendre. En prévision de cela, à défaut de texte légal, un droit de préférence au profit de cela, à défaut de texte légal, un droit de préférence au profit du locataire est parfois contractuellement mentionné dans le bail commercial. Or, ce droit, souvent source de litiges, est appelé à être relayé par un véritable droit légale de préemption dont il n’est cependant pas certain qu’il soit plus clair.

D’un éventuel droit contractuel de préférence …

La stipulation librement insérée par les parties à un contrat de bail commercial en vertu de laquelle, en cas de vente du local objet du bail, le bailleur doit prévenir le locataire et lui accorder la préférence d’achat par rapport à tout tiers acquéreur, pose des difficultés de mise en oeuvre dont le juridictions sont régulièrement saisies, comme l’illustre encore une affaire ayant amené, le 9 avril 2014, la Cour de cassation à se prononcer. En l’espèce, une société avait pris à bail des locaux commerciaux pour une partie d’un immeuble appartenant intégralement à un couple ; le bail contenant une clause de préférence qui portait sur les locaux commerciaux telle qu’on vient de l’évoquer. Toutefois, l’immeuble ayant été vendu en totalité à un SCI sans que la société locataire ait été prévenue, celle-ci soutenait que la vente avait été faite en violation de son droit de préférence, et avait assigné en annulation de cette le couple vendeur ainsi que la SCI. Ayant été déboutée devant le pourvoi en cassation, rejeté à son tour. En effet, à l’appui de sa décision, la Haute juridiction relève que l’objet de la vente (l’immeuble de son entier) était ici (les seuls locaux commerciaux) et que « la clause litigieuses ne saurait conduire à imposer aux propriétaires de diviser leur bien en vue de la céder à des personnes distinctes ». L’argument est convaincant, mais montre bien la relativité de ce droit de préférence d’essence contractuelle, dont la rédaction plus explicite éviterait des déconvenues.

… à un droit légal de préemption

Entre autres dispositions, le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, déposés à l’Assemblée nationale le 21 août 2013 et finalement adopté en commission mixte paritaire par le Sénat le 5 juin 2014, modifie la législation sur les baux commerciaux avec, notamment, l’insertion dans le Code de commerce d’un nouvel article L 145-46-1 qui institue un droit légal de préemption au profit du locataire en cas de vente du local à usage commercial ou artisanal qu’il occupe. En pratique, le texte prévoit que le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal qui envisage de le vendre doit en informer le locataire selon des modalités précises en indiquant, sous peine de nullité, le prix et les conditions de la vente projetée. Cette notification « vaut offre de vente au profit du locataire » qui, à dater de la réception de cette offre, dispose d’un délai d’un moins pour se prononcer et qui, s’il accepte et à compter de l’envoi de cette acceptation, doit réaliser ladite vente dans un délai de quatre mois ou de deux mois selon qu’elle est ou non subordonnée à l’obtention d’un prêt. Néanmoins, le droit de préemption en question ne s’applique pas « en cas de cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial » ou encore « à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux  ou à la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint ».

Des questions en suspens

Systématique et donc moins aléatoire qu’un éventuel droit contractuel de préférence, le droit légal de préemption, censé conforter la position du locataire dans le local professionnel qu’il occupe, risque bien de ne pas être efficace ; à en juger par la teneur et l’opacité des exceptions à son application reproduites ci-avant qui rejoignent et peu ou prou les difficultés nées du droit d’origine contractuelle et les limites de ce dernier constatées par la jurisprudence. Par ailleurs, on peut craindre un enchevêtrement avec d’autre droits de préemption dont celui des communes et divers établissement publics sur les fonds de commerce, baux commerciaux … Il faut dire que, à la croisée du droit de ces propriété, le sujet suppose une conciliation délicate des intérêts en présence.